Jacques Blois vers 2001 (photo de l'auteur)
De son vrai nom Jacques Faucher, Jacques Blois est né le 26 mars 1922. En 1966, alors qu'il est cadre supérieur à Paris pour une célèbre chaîne de grands magasins, il entre au Fleuve Noir et devient un des auteurs les plus productifs de la collection «L'Aventurier» à l'époque où celle-ci cherche du sang neuf et qui verra arriver aussi Piet Legay, Victor Harter puis Jean Detis et Roger Maury. Puis il se tourne vers le roman policier pour «Spécial Police». Entre 1973 et 1975, il signe huit romans d'espionnage, toujours au Fleuve Noir, dans la collection «Espiomatic» mettant en scène Le Conch. Il quitte le Fleuve Noir et l'écriture en 1983 puis prend sa retraite dans la campagne près d'une superbe petite ville du Var, Fayence, où il va vivre jusqu'à son décès en mai 2010, après plusieurs années d'une existence de reclus due à des problèmes de santé...
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INTERVIEW
(réalisée en 2006 et merci à Claude Durand pour son aide technique !)
RDN : Tu as commencé à écrire a plus de 40 ans pour le Fleuve Noir. À moins que « Jacques Blois » ne soit pas le seul pseudonyme de Jacques Faucher ? Quel a été ton parcours ?
JB : J’ai commencé à écrire à 40 ans passés. J'étais cadre dans le grand commerce. C'était une situation astreignante et j’ai écris pour me distraire et m’évader, sans penser une seconde que je pourrais être édité un jour. Parmi les amis de tous âges ayant lu mes deux premiers manuscrits- l’un au soleil en Sardaigne- l’autre sous la pluie en Hollande- un s’est permis, sans m’en parler, de les confier aux Presses de la Cité qui les a transmis au Fleuve Noir. François Richard m’a convoqué me demandant si j’étais capable d’en écrire un troisième. Il l’a eu 3 semaines après. C'est comme ça que «Jacques Blois» a fait son entrée au FN dans la collection « Aventurier»...
RDN : Donc, tu t'es retrouvé à écrire pour « L’Aventurier » en 1966 avec Deux tigresses pour un moteur. Cette collection était pourtant assez fermée, avec peu d’auteurs, non ? Est-ce parce que tu avais envoyé un manuscrit déjà spécialement écrit pour elle ou sur une suggestion de François Richard, le directeur littéraire du Fleuve Noir, suite à l’envoi d’un roman policier, par exemple ?
JB : Sur l’avis de François Richard, je suis entré dans la collection «L'Aventurier» parce que mon héros était double, des jumeaux. L’un mettait de l’ordre et l’autre créerait une pagaille enrichissante ! Ces jumeaux AMI et JOI d’Iseran ont été les héros de tous mes romans édités dans la collection «L'Aventurier».
RDN : Immédiatement, tu te retrouves à faire cina « L’Aventurier » par an. Ce n’était pas difficile à assurer en plus de ton travail « dans le civil » ?
JB : J'écrivais d’un seul jet- J’ai toujours écris à la main très vite sans rature et ce pendant mes week-ends libres, mon épouse se chargeant de les taper à la machine et de corriger les fautes d’orthographe. Simenon disait écrire un polar en huit jours. Mon record personnel est de neuf jours.
RDN : JOI, le héros de ta série dans « L’Aventurier », appartient au monde des courses de chevaux. Est-ce la transposition d’un intérêt personnel pour ce milieu ?
JB : J’ai toujours adoré l’équitation que je l’ai beaucoup pratiqué. Ayant vécu dans le milieu hippique, cela m’a bien aidé et le premier intérêt que j’y ai trouvé fut le plaisir et le divertissement.
RDN : À partir de 1969, tu commences aussi à publier dans « Spécial Police » avec Panique en sous-bois. Est-ce par volonté de te « changer les idées » ou parce que tu sentais que la collection « L’Aventurier » commençait à battre de l’aile ? Ou encore parce que « Spécial Police » payait mieux ? Quelle était la différence de tirage entre les deux collections ?
JB : Parce que j’en avais envie, tout simplement ! J’ai toujours ignoré les différences de tirage qui m’importaient peu ! Mon intérêt était mon plaisir personnel, mon évasion, mon divertissement et ma récréation...
RDN : En 1973, Patrick Siry te propose d’avoir ta série bien à toi,Le Conch. C’est la période où le Fleuve Noir décide de lancer de nouveaux produits éditoriaux comme les Vic St Val. Tu peux nous raconter l’aventure du Conch qui durera huit romans, de fin 1973 à début 1975 ? Quel était le principe de la série ? Et le « Conch », ça veut dire quoi, au fait ?
JB : Ce n’est pas Patrick Siry qui m’a proposé le Conch, c’est moi qui le lui ai proposé. Conch est un surnom donné en Amérique aux natifs des Iles Lucayes. La série était basé sur un principe d’espionnage : notre Conch après avoir roulé la CIA et avoir été licencié par celle-ci est engagé par la DIA, un service secret de l’armée américaine, comme «dépanneur» en tous genres et toutes méthodes. J’ai découvert le mot Conch , sa signification et son sens dans un livre d’Hemingway. J’ai été frappé par la brièveté et la musicalité du terme. Pour moi c’était un cri, un appel, un coup de gong. A la même époque j’ai lu l’histoire d’un agent de la CIA qui trafiquait dans tous les domaines au Vietnam avec l’argent de la société. Fortune faite, il s’était laissé licencier, sachant que la CIA hésiterait devant le ridicule d’un procès. Pour moi, c’était le Conch que j’ai installé aux Keys, paradis grand ouvert sur le trafic avec Cuba. C’est lorsqu’il sera récupéré par la DIA, service secret des trois armes américaines et ennemie jurée de la CIA. La série a démarré très fort : le tirage qui m’est alors annoncé est de 150 000 exemplaires ! Après avoir signé un contrat spécial, j’honore celui-ci lorsque, après le 8ème roman, le FN me demande brutalement de baisser mon pourcentage ! Je leur ai demandé s’ils souhaitaient faire des économies et sur leur réponse positive j’ai tout simplement stoppé le Conch laissant la voie libre à Vic Saint Val. Vingt ans après, j’ai appris le lien existant entre Vic Saint Val et Frédéric Dard/San Antonio (1), ce qui m’a mis en tête mille suppositions que je préfère garder pour moi... L’arrêt des aventures du Conch a entraîné pour moi une avalanche de lettres de lecteurs déçus de sa disparition. Qu’il repose en paix...
RDN : Après la fin du Conch, il y a un trou de presque 3 ans avant ta réapparition au Fleuve, dans « Spécial Police ». Il a été du à quoi, ce silence ?
JB : Ce silence est du à un grave accident de voiture.
RDN : Après ton « retour », tu publies 3 romans en 1978, aucun en 1979, 3 en 1980, 1 en 1981, 1 en 1982 et un dernier en 1983. Que s’est-il passé ?
JB : Après mon retour, j’ai publié les romans que tu signales. Puis j’ai pris la retraite de ma profession principale et j’ai découvert d’autres plaisirs : théâtre, émissions de radio enregistrement de livres pour les aveugles, longs voyages avec une fascinante découverte de la Chine et de sa millénaire pensée philosophique. D’autre part, à peu près au même moment, changement de direction à la tête du FN qui recherche des manuscrits à la mode de cette époque c'est-à-dire truffés de tortures intimes, de dissections à la tronçonneuse et d’avalanches d’hémoglobine. Mes manuscrits n’ont plus rien à voir dans ce nouveau climat et deux me seront refusés... De toute façons il était pour moi hors de question de me prêter à ce nouveau jeu et à ce nouveau style.
RDN : Tes romans se caractérisent par un style simple, clair et direct, souvent au présent (sauf pour les Conch) qui les rapproche par exemple de ceux de ton confrère au Fleuve Noir Peter Randa. Faisais-tu un plan détaillé avant de commencer un roman ou bien te laissais-tu guider par l’histoire en sachant seulement comment elle allait se terminer ?
JB : J’ai toujours écris en faisant danser mes mots sans faire aucun plan et ne sachant jamais au début de l’histoire comment elle se terminerait... Je me suis d’ailleurs aperçu au fil de l’écriture qu’il pouvait y avoir pour la même histoire une dizaine de fins différentes. L’intérêt étant au dernier moment de choisir la plus humainement surprenante. Pour moi, l’important est que mon lecteur voit, entende et vive au plus près de mes personnages. Il y a eu le style acrobatique des jumeaux aventuriers d'Iseran pour «L'Aventurier», différent du style adopté pour rendre la morne existence routinière d’un groupe d’individus pris dans la crise d’un «Spécial Police».Pour le Conch, il s’agit du carnet de route d’un dépanneur de l’ombre, d’un service-action solitaire, opérant tous azimuts et sans état d’âme, tendu vers un seul but ; la réussite de sa mission. Ses actions se déroulent dans des pays bien définis, avec leurs problèmes économiques et politiques d’actualité : le livre sur le pétrole Spécial Pétrole Conch est par exemple quasiment prémonitoire... Le Conch m’a demandé de nombreuses recherches pour lesquelles j’ai été aidé de façon formidable par mon épouse. Je peux même ajouter qu’à l’époque, il y avait à Paris deux endroits charmants où il suffisait d’ouvrir grand les oreilles en dégustant un bourbon pour avoir de bonnes informations...
RDN : N’as-tu jamais été tenté d’écrire pour d’autres collections du Fleuve Noir comme « Espionnage », « Angoisse » ou « Anticipation » ?
JB : J’avais écris le Conch au départ pour «Espionnage». Auparavant, sous François Richard, j’avais tenté une première fois ma chance dans cette collection avec un héros nommé Séraphin Béatus et j’avais été alors remercié sèchement sans aucune explication. Après avoir parlé du Conch avec Patrick Siry, et lorsqu’il a lu le premier manuscrit, c’est lui qui a décidé de le placer en alternance avec les Vic St Val en «Espiomatic» . Quant à «Anticipation», je n’ai aucun goût et aucun talent pour le virtuel et les prédictions des siècles futurs... Mon terrain de jeu était le réel humain de l’époque.
RDN : Sur les plus de 50 romans que tu as publié au Fleuve Noir entre 1966 et 1983, quels sont tes préférés et pourquoi ?
JB : Mes préférés : Le radeau des médusés pour «L'Aventurier», Appelez moi : Victoire pour «Spécial Police» et Le Conch au carnaval des Anges pour «Le Conch». C’est ceux avec lesquels je me suis le plus facilement amusé.
RDN : Après 1983, as-tu cessé d’écrire pour de bon ou non ?
JB : J’ai écris pour mon plaisir par-ci, par-là des contes et des nouvelles pour mes amis. Pour un amateur n’ayant aucun intérêt pour la gloire, le tirage, ou l’argent, je pense qu’une cinquantaine de romans est une excellente plaisanterie qui m’a amusé de nombreuses années. Un dernier souvenir : j’ai été prévenu un jour par le FN que mes droits été vendus en Amérique du Sud (Chili ou Argentine) et me suis toujours demandé ce que ces braves gens allaient y comprendre (2)...
RDN : Merci Jacques.
Notes:
(1) Les «Vic Saint Val» étaient écrits par Gilles-Maurice Dumoulin sur des scénarios de Patrice Dard, le fils de Frédéric, qui vient de reprendre sous son nom les aventures de San Antonio. Et, hormis le fait que Frédéric Dard était l'auteur numéro 1 du Fleuve Noir, des liens familiaux unissaient Patrick Siry, Frédéric Dard et Armand de Caro, le fondateur de la maison. Mais, quand on connaît le milieu de l'édition, on peut imaginer sans peine que Jacques Blois a été victime d'une «banale» tentative de renégociation à la baisse de son contrat jugé trop soudain onéreux pour la maison. Après tout c'est pour cette raison que Gérard de Villiers à quitté dans les années 1980 le Groupe de la Cité dont il était pourtant un grand pourvoyeur de fonds...! Quand on vous dit que l'édition, c'est une autre planète...
(2) Je n'ai pu, pour le moment, et après de longues recherches, jamais pu trouvé la trace des ces traductions sud-américaines. Les livres en question ont peut-être été achetés mais jamais publiés. Par contre Jacques Blois a été traduit au moins deux fois en Espagne aux éditions Edisven (1969 et 1970) et une fois en Grèce aux éditions Papyros (vers 1971) .
BIBLIOGRAPHIE
Dans la collection «L'Aventurier», Éditions Fleuve Noir :
- Deux tigresse dans un moteur, #123, 1966.
- Repens-toi, Panthère ! 124, 1967.
- La foire à la ferraille, #126, 1967.
- Retour à l'expéditeur, #129, 1967.
- La marotte de dame Marouatte, #131, 1967.
- Gymnastique suédoise, #132, 1967.
- Cure sans sommeil, #135, 1968.
- Le pool aux oeufs d'or, #137, 1968.
- Le cheval de proie, #139, 1968.
- Poivre, sel et piments, #142, 1968.
- À contre-carats, #145, 1968.
- À tire d'huile,#147, 1969.
- Bal en berne, #150, 1969.
- Voyage sans horizons, #152, 1969.
- Voltige en Haute-Adige, #154, 1969.
- Vampé, le vampire, #159, 1970.
- Le bénitier du diable, #162, 1970.
- Le radeau des médusés, #167, 1970.
- Trident aux dents, #169, 1971.
- Le signe du trèfle, #173, 1971.
- Paradis, part à deux, #177, 1971.
- Pot aux pruneaux, #181, 1972.
- De l'or dans l'aile, #184, 1972.
- À cloche-cheval, #189, 1972.
Dans la collection «Spécial Police», éditions Fleuve Noir :
- Panique en sous-bois, #732, 1969.
- Une bien belle affiche, #779, 1970.
- Qui trop embrase, #817, 1970.
- Le gobe-souris, #866, 1971.
- À brûle-chassis, #899, 1972.
- Blouson à redorer, #924, 1972.
- La mort vient en jouant, #949, 1972.
- Au clair de la mort, #992, 1972.
- Je tue pour toi, #1029, 1973.
- Quand tout s'effiloche, #1046, 1973.
- Escalade pour un voyou, #1078, 1973.
- Trois pieds dans une tombe, #1388, 1978.
- Trop peureux pour être honnête, #1405, 1978.
- Taxi tire-lires, #1432, 1978.
- Le Gros, le Grand et la pagaille, #1544, 1980.
- Appelez-moi Victoire ! #1588, 1980.
- Silence ! On tourne... mal ! #1609, 1980.
- Les mains au feu, #1655, 1981.
- Un Éphémère chez les books, #1694, 1981.
- Trois belles, trois méchants, trois flics, #1799, 1983.
Dans la collection «Espiomatic», éditions Fleuve Noir, série Les aventures du Conch:
- Le Conch frappe les trois coups, #17, 1973.
- Le Conch joue à la balle, #19, 1973.
- Le Conch, 8e Plaie d'Égypte, #21, 1974.
- Tap-Tap Conch,#23, 1974.
- Le Conch ne fait pas de fleur, #25, 1974.
- Spécial pétrole, Conch ! #27, 1974.
- Le Conch au carnaval des anges, #30, 1974.
- Pépites en rafales, #43, 1975.
Richard D. Nolane
© Richard D. Nolane 2006